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Comprendre l’agroécologie

par | 6 novembre 2023 | Dossier

« Ses théories, ses pratiques, … »

Avec la baisse du pouvoir d’achat, l’agriculture biologique est en difficulté. Marc Dufumier est venu s’exprimer sur le sujet le 12 octobre à Rodez, invité par la section bio de la FDSEA, et le syndicat des jeunes agriculteurs.

Les associations de transition énergétique et écologique, Canopée12 et ADOC, Agir Durablement en Olt et Causses, étaient présentes, pour conforter leurs analyses sur l’agriculture et l’alimentation dans un projet de société bas carbone.

C’est à dire une société où nourrir les humains et baisser nos émissions de gaz à effet de serre sont compatibles.

La salle était comble, plus de 200 personnes ont pu écouter la présentation de la filière bio Aveyronnaise par les agriculteurs : 14 % des exploitations du département sont bio et la région Occitanie occupe la première place en l’Europe.

Pour nos intervenants, deux agriculteurs et une agricultrice, nous sommes à un tournant ; le réchauffement climatique est un fait et va bouleverser habitudes et techniques agronomiques.

Marc Dufumier, agronome engagé et professeur émérite à AgroParisTech, nous a expliqué ce qu’est l’agroécologie.

« L’agroécologie est une discipline scientifique, celle qui rend intelligible la complexité et le fonctionnement des agroécosystèmes, de façon à inspirer des pratiques agricoles novatrices ayant pour objectif de pouvoir nourrir durablement et correctement les populations locales. »

D’un point de vue agronomique

« Il faut faire un usage intensif des ressources naturelles renouvelables, être économe en énergie fossile et ne plus utiliser d’agrotoxiques. Les kilocalories qui sont quotidiennement nécessaires à notre alimentation nous viennent en réalité du soleil grâce à la plante, qui transforme cette énergie solaire en énergie alimentaire via la photosynthèse. L’agroécologie scientifique doit donc permettre d’envisager un usage intensif des rayons du soleil. »

« Il faut des sols poreux, dont la structure est capable de retenir l’eau. C’est désormais le ver de terre qui rendra le sol poreux et non la charrue qui tend à détruire le taux d’humus des sols et rendre ceux-ci plus sensibles à l’érosion. Il nous faut un usage intensif de l’eau qui tombe du ciel, qui sera retenue par la porosité du sol et son humus».

« Nous avons également besoin de protéines, constituées d’azote, dans notre alimentation. L’agroécologie scientifique propose de substituer les engrais azotés de synthèse, fabriqués avec de l’énergie fossile et très émetteurs de protoxyde d’azote (un puissant gaz à effet de serre), par des plantes de l’ordre des légumineuses capables de fixer l’azote contenu naturellement dans l’air. Il nous faut un usage intensif de l’azote atmosphérique ».

On aura donc compris par sa formule « usage intensif », que ce système agronomique est très consommateur en ressources naturelles inépuisables.

Nous ne sommes absolument pas dans un modèle agricole que l’on pourrait qualifier d’extensif, il est d’une haute technicité, par la compréhension des mécanismes biologiques.

« Ensuite, l’agroécologie scientifique prône le recours à des systèmes agroforestiers qui associent arbres et cultures. Avec leurs systèmes racinaires profonds les arbres sont capables d’aller chercher des éléments minéraux dans le sous-sol inaccessible aux cultures, par exemple céréalières. Ces éléments sont alors restitués aux cultures via la chute des feuilles de l’arbre. Cela est particulièrement intéressant pour le phosphore, dont on sait très bien qu’il y a un risque de pénurie du fait de l’épuisement des mines de phosphates. L’arbre, la haie doivent donc retrouver toute leur place. »

« Les variétés végétales ont été créées par l’agro-industrie pour être productives avec des engrais de synthèse et des pesticides, sans aucune adaptation aux régions, aux terroirs. Il va donc falloir retrouver la diversité qui existait avant ce tournant agronomique, ces variétés qui étaient résistantes aux parasites et aux mauvaises herbes ».

« Enfin, l’élevage est également une composante essentielle de l’agriculture inspirée de l’agroécologie scientifique par sa contribution importante à la fertilité des sols. Mais il faut parallèlement diminuer la consommation de viande. Il est incontestable que les ruminants participent par le méthane au réchauffement climatique, ce dernier est un gaz à effet de serre beaucoup plus réchauffant que le gaz carbonique, mais un élevage, mené de manière agroécologique, permet en même temps, via les prairies, de stocker du carbone dans les sols et de compenser partiellement les émissions »

« Pour nourrir correctement une personne, il faut de l’ordre de 200 kg de céréales ou son équivalent calorique par habitant et par an. La production mondiale est actuellement de 330 kg d’équivalent de céréales. Il y a donc déjà un excédent de nourriture dans le monde. La question de notre capacité à nourrir le monde est avant tout économique. Nos excédents de poulets bas de gamme de quarante jours ou de poudre de lait ruinent les basses-cours du Sénégal et les petites fermes laitières d’Afrique, en les empêchant de développer leurs propres productions. Le paysan brésilien est pauvre alors que nos porcs élevés au soja sont riches ! Au Brésil, un hectare de terre peut nourrir 50 végétariens, mais seulement 2 carnivores ».

« Au sujet des pesticides et particulièrement du glyphosate, il faut s’attendre dans les années à venir à une baisse de l’espérance de vie en bonne santé de 10 ans ! ».

D’un point de vue économique

« Il faut prendre en compte ce que nous coûte l’agriculture industrielle et regarder surtout la valeur ajoutée des productions : ce que l’on a produit en moins, ce que l’on a détruit. L’agriculture productiviste est très destructrice en étant consommatrice d’engrais de synthèse, de carburants ou de pesticides. La valeur ajoutée à l’hectare par l’agriculture biologique est donc bien supérieure à celle de l’agriculture industrielle. »

« Les agriculteurs doivent être payés quand ils mettent en place des techniques susceptibles de séquestrer du carbone dans le sol avec la fabrication de fumier, quand ils replantent des haies qui abritent des oiseaux qui mangent les papillons de nuit ravageurs de pommes, quand ils adoptent des techniques culturales sans pesticides et protègent ainsi la ressource en eau… On pourrait pour cela piocher dans les neuf milliards d’euros de la Politique agricole commune (PAC) et les quatre milliards de la politique agricole française. »

« Les politiques agricoles doivent être de plus en plus en faveur de l’agroécologie et d’une agriculture intensive en emplois, au moyen du paiement de services environnementaux. Ce paiement des services d’intérêt général procurés par nos agriculteurs permettrait alors à ces derniers de vendre des produits de qualité artisanale à des prix accessibles aux couches sociales les plus modestes. »

« Afin d’assurer des prix qui rémunèrent l’agriculteur, la société doit mettre en place des mécanismes : sécurité sociale alimentaire, prise en charge d’une partie des coûts par les communes (cantines, cuisines collectives…) »

La soirée s’est terminée par les questions du public.

Les agriculteurs restent inquiets sur leurs marges économiques, car les politiques publiques ne se changent pas rapidement et les lois ne sont pas appliquées (20 % de bio dans les cantines par exemple).

Par contre ils sont confortés dans leurs choix techniques, par ce bel exposé agronomique.

ADOC et Canopée12

Quelques liens sur ce sujet :

Article publié par « Canopée » le 06/11/2023

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